Volkswagen Beetle Assembly Line by Alden Jewell (CC BY 2.0) |
La digital factory : un concept puissant...
Le nouveau concept en vogue est désormais de lancer une digital factory. Réalisant que les start up réussissent là où précisément elles échouent, les entreprises traditionnelles tentent d'adopter leurs modes de fonctionnement : espace séparé, locaux "inspirants", méthode agile, équipes interdisciplinaires (mêlant marketing, UX, expert data, etc.)... La digital factory se développe en rupture pour délivrer rapidement produits nouveaux et services digitaux.
... qui peine à diffuser la culture de l'innovation...
Si les digital factories parviennent en général à innover et réduire le temps de développement des projets, elles ne rencontrent pas le même succès quand il s'agit de diffuser largement leur culture et de passer à l'échelle. Plusieurs facteurs contribuent à cet impuissance, en particulier :
- Le superbe isolement : à dessein libérée de certaines contraintes propres à une grande organisation, la digital factory peut se permettre de penser et agir en dehors des codes et usages historiques qui en revanche la rattrapent dès que les projets dépassent le proof of concept pour aborder la phase industrielle et l'usage en production,
- Le jugement de valeur implicite : le succès de la digital factory met en lumière de manière crue les carences de l'entreprise. Un fossé culturel se creuse entre les "talents" de la digital factory qui pensent vite et agissent sans obstacle et les collaborateurs de l'entreprise, soumis aux contraintes de la production et à la pesanteur de l'organisation, entre ceux qui conquièrent la new frontier et ceux qui font "tourner la boutique".
... parce que le Monde de la digital factory est centré sur elle-même
Dans la pratique, la digital factory est souvent un moyen de se prouver que l'entreprise est capable de délivrer rapidement des services et produits innovants. Rien d'étonnant dès lors qu'en recrutant de jeunes talents, en rassemblant le bon mélange de compétences, en adoptant les méthodes innovantes ("faire comme Spotify"), en allégeant les contraintes diverses qui pèsent sur elle, l'entreprise parvienne à créer un îlot d'innovation en son sein.
Bien maladroitement, une fois les premiers succès survenus, on invite les "laborieux" à admirer les réalisations et à voir "comment on a fait", avec post dans LinkedIn pour relayer "l’événement". Les regards admiratifs et l'enthousiasme participatif traduisent au fond un choc des cultures.
Le succès vient au prix de la création d'un Monde à part, en rupture patente avec la culture historique de l'entreprise. Dans la pratique, rien n'a changé : la digital factory reste coupée des opérationnels et l'organisation ne s'est pas transformée.
La transformation : voilà le projet !
Conscient que la transformation est une tâche ardue, le management a sciemment décidé d'éviter le problème pour se concentrer sur des succès accessibles et rassurants. La transformation a été pensée à la fin, comme un chantier annexe dans la liste des projets tous plus brillants les uns que les autres de la digital factory. Personne ne s'est posé la question de savoir comment réconcilier les cultures, si tant est que cela soit possible à ce stade.
Croire que la digital factory est un "lab" qui va naturellement irriguer l'entreprise est une illusion, un mythe moderne.
C'est un problème classique de changement de Monde
Pour P-Val, ces échecs cachent un problème classique mais non trivial de changement de Monde. L'innovation impose des défis que le Monde historique de l'entreprise ne permet pas d'affronter avec succès. C'est en mesurant de manière claire et assumée ce décalage et en pensant dès le départ le changement culturel qu'il implique que l'innovation pourra se diffuser. Pour embarquer l'organisation vers plus d'innovation digitale, il faut penser cette transformation ambitieuse en amont et la mettre au cœur du projet. Les modalités de diffusion de la culture de l'innovation doivent être pensées et partagées avant même le lancement de la digital factory, pas une fois que sa culture est devenue aux yeux de tous l'antithèse emblématique du Monde de l'entreprise.
Autrement dit, le projet de la digital factory doit être de changer le Monde de l'entreprise, de diffuser dans la pratique une culture de l'innovation et pas de faire de l'innovation, d'apprendre à innover plutôt que d'innover.
Autrement dit, le projet de la digital factory doit être de changer le Monde de l'entreprise, de diffuser dans la pratique une culture de l'innovation et pas de faire de l'innovation, d'apprendre à innover plutôt que d'innover.
Martial Rouyère
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