Le guide Michelin vient de racheter 60% du guide Fooding après en avoir acheté 40% en 2017. Le décryptage de ce rachat est fondé sur l’excellent article écrit par Elvire von Bardeleben dans Le Monde du 24 novembre 2020. Nous l’avons enrichi grâce à notre méthode des Mondes.
Ce rachat part d’une bonne intention stratégique.
Le Guide Michelin a compris que son positionnement est de plus en plus battu en brèche par d’autres acteurs et media de la critique (influenceurs, Instagram) ; qu’il est toujours en retard sur l’identification des nouvelles pépites de la cuisine (le guide ne sort qu’une fois par an et est plutôt frileux dans ses choix de nouveautés) ; que sa réputation sur l’attribution des étoiles est devenue l’arbre qui cache une forêt ravagée ; que son modèle économique est mal en point (des ventes en chute continue, des coûts élevés).
Ils se sont sans doute dit que ce rachat allait compenser ces faiblesses, grâce à la promesse de Fooding : « le goût de l’époque, qui se dresse contre une gastronomie savante ». Ils ont aussi pensé que le Monde de Fooding était assez proche du leur : les inspecteurs Fooding font leur visite incognito, les repas sont toujours à leurs frais.
Autrement dit, beaucoup de bénéfices et pas de risque.
MAIS le Monde du Guide Michelin les a conduits à racheter une entreprise qui n’a aucun des atouts qui pourraient être la source de leur renouveau :
Fooding n’est pas digital et a du mal à trouver sa place sur les réseaux sociaux. « Le digital ne me passionne pas. Je suis plutôt dans les idées», dit Alexandre Cammas, le créateur. Leur compte Instagram se contente d’accumuler de jolies photos de plats désincarnés. Le Fooding existe surtout à travers son site Web, qui publie une dizaine de chroniques de restaurants par mois, et par le lancement du guide annuel qui reste un événement, mais cela suffit-il pour faire face à la validation permanente de restaurants par les influenceurs ?
Fooding ne joue pas sur la personnalisation de celui qui fait la critique, ce qui est pourtant l’attente du public : le public se fie aujourd’hui beaucoup plus aux personnes qu’aux marques ; au moment de l’avènement des réseaux sociaux, Fooding aurait pu faire le choix d’incarner son guide, de mettre en scène l’expérience d’un inspecteur au restaurant. ». C’est opposé à la règle incognito et paiement des additions. Et l’audience de Fooding reste faible.
Fooding n’a pas de modèle économique qui pourrait créer un effet de levier pour le Guide Michelin.
PIRE encore, ce que peux apporter Fooding a été rattrapé par les évolutions du Monde de la gastronomie et de la critique :
Le combat de Fooding est devenu superflu : les nouveaux chefs et restaurants ont réussi à émerger sans l’aide ni du Michelin ni de Fooding grâce à Instagram et aux émissions télé ; Fooding a créé de nouveaux standards de l’époque … qu’il ne peut plus critiquer puis que les restaurants sont conformes à ce qu’il attend.
Les restaurants n’ont plus besoin des guides : les chefs savent communiquer sans avoir besoin des critiques et Instagram est là pour relayer.
Fooding n’a pas de poids sur le marché: les pépites découvertes par Fooding sont relayées par des réseaux sociaux, sans en attribuer la paternité à Fooding qui reste trop parisien, trop entre soi.
La question de la réussite de la fusion ne se pose même pas, le Guide Michelin s’est trompé de cible. D’autant plus que les fondateurs de Fooding qui auraient pu avoir de nouvelles intuitions géniales sont en partance.
Pour éviter ce genre d’impasse, mes recommandations aux entreprises qui en rachètent d’autres sont simples : (1) Faites une due diligence Monde de votre cible ; (2) Comprenez que votre Monde à vous va vriller votre compréhension des évolutions de vos marchés et de la réalité de l’entreprise que vous voulez racheter.
Bruno Jourdan
0 commentaires :
Enregistrer un commentaire