Après trois ans de débats et de controverse, la réforme du droit d'auteur adoptée par le Parlement européen en 2019 doit être transposée en ce début d’année par les 27 états membres. Elle touche de nombreux acteurs qui ont des intérêts différents : les producteurs de contenus sur internet, les artistes, les géants du Web et les médias.
L’objet de la Directive est
de moderniser le droit d’auteur à l’ère du numérique et de faire passer les
plateformes (Google, Facebook, Youtube…) du statut de simple hébergeur à un
acteur responsable de la diffusion de contenus.
Normal, peut-on penser alors
qu’on observe une consommation croissante en ligne des œuvres protégées et la difficulté
corolaire des titulaires à monétiser l’exploitation de leurs œuvres sur Internet.
C’est ce que le législateur a souhaité corriger en obligeant les géants du Web
à signer des accords avec les titulaires de droits.
Et c’est là que la réalité des
difficultés passées met en lumière deux mondes qui ne se parlent pas, celui des
médias traditionnels et celui des géants du Net. Car les pistes prévues dans ce
new deal sont selon nous des impasses :
1. Signer des accords avec les auteurs, producteurs ou maisons de presse signifie prévoir des filtres avant chaque mise en ligne pour exclure les ayants droits non rémunérés. Or, les algorithmes de téléchargement sont incapables dans l’état actuel des technologies de faire la différence entre des violations de droits d’auteurs et des usages légaux comme par exemples les parodies
2. Signer ces accords, un par un, débouchera probablement à un deal déséquilibré avec les médias et les sociétés de gestion de droit tant ceux-ci sont éclatés au sein même de leurs marchés nationaux et tant les acteurs du Web ont acquis un rôle prépondérant sur le marché. En témoigne le contentieux actuel en Australie où Google menace Canberra de suspendre son moteur de recherche en représailles au projet du gouvernement de contraindre Google et Facebook de rémunérer les médias pour leurs contenus. Même les états finiront par baisser les armes de peur de perdre des services devenus essentiels pour leurs citoyens
3.
Exclure des contenus
éligibles à droits les seuls contenus à formats courts. L’intention du législateur
sera d’intégrer la critique principale des activistes des libertés
numériques : Internet passerait d’une plateforme ouverte de partage et
d’innovation (Youtube, Instagram, Twitch, …) à un outil de contrôle automatisé
des internautes. Pour éviter que l’application stricte de la Directive fasse
fuir une frange importante d’internautes, il faudrait laisser libres de droits
les usages tels que les liens hypertextes, les citations de courts extraits et le
partage de contenus à la volée de type pédagogique ou humoristique. Mais alors comment
fixer la frontière sur ces contenus sans créer une usine à gaz réglementaire
(et hautement instable compte tenu du foisonnement des usages sur Internet) ?
Chez P-VAL, nous pensons que
ce qui se joue en Europe correspond au choc de deux mondes face à la création
de l’esprit, le monde historique des médias (TV, presse, radio) et le monde des
Géants du Net. C’est en comprenant profondément ces mondes qu’il est possible
d’atteindre un point d’équilibre.
Dans le Monde
Historique des médias traditionnels :
§ La grandeur
est de contribuer à une information de qualité, une production culturelle
inédite, la capacité à dénicher des pépites littéraires et artistiques
§ La
reconnaissance est l’audimat lié à des reporters, auteurs et interprètes d’exception
§ Les
interactions avec des acteurs extérieurs sont fondées sur un contrôle strict
des droits organisés par des sociétés de gestion collective spécialisées par
métier (musique, arts de la scène, édition de presse, …) qui ont pu capitaliser
sur un partage fin de la valeur entre acteurs
§ Les décisions de programmation et de rémunération sont fondées sur une cotation « centralisée » des acteurs, auteurs, éditeurs, …
Que vient
percuter de plein fouet le Monde des Géants du Web face à la création :
§ La grandeur est
d’inventer les services universels du Village Global (un trombi global, un
magasin global, un bottin universel, une cour de récréation globale…)
§ La création
éditoriale et artistique n’est qu’un des ingrédients de ces services universels.
Elle est polymorphe, hyperpersonnalisée et surtout ouverte à tous
§ La
reconnaissance est tirée du nombre d’utilisateurs, si possible les 7,6
milliards d’humains que compte la planète
§ Les
interactions avec les acteurs extérieurs sont fondées sur une relation marchande
bilatérale qui optimise le pouvoir de négociation. Le prolongement naturel est
le rachat d’une innovation « universelle » concurrente
§ Les décisions
sont fondées sur la valeur de la donnée : quel potentiel la donnée acquise
me procure-t-elle pour imaginer de nouveaux services ?
A ce stade
comment initier des « Accords » entre ces deux Mondes que tout semble opposer ?
Une façon pour les médias traditionnels de mieux reconnaitre la création à l’ère numérique est de massifier les déclarations de droits et ainsi d’équilibrer le dialogue avec les géants au lieu de vivre des situations de chantage. Pour aller un cran plus loin c’est passer d’une représentation « contrainte administrative » à une représentation « création de valeur »
Un autre moyen est de s’armer de technologies de reconnaissance des œuvres de l’esprit et de les rendre inviolables (computer vision, blockchain, …) depuis le filtrage jusqu’à la déclaration auprès des sociétés de gestion de droits.
Surtout, c’est en embarquant la voix de l’internaute dans le débat sur la qualité de la création et ses conditions d’existence que les Médias traditionnels auront gain de cause.
Ces principes d’actions (à transformer en solutions éprouvées) sont ce que nous appelons chez PVAL des passerelles entre deux mondes. Peut-être les médias européens pourront-ils suivre l’exemple des représentants des médias français et allemands (l’APIG et VG Media). Ceux-ci ont décidé courant 2020 d’unir leurs forces en créant une nouvelle société de gestion collective, potentiellement ouverte à d’autres pays européens, pour négocier un accord cadre régissant les droits avec Google.
Une façon pragmatique
d’entrer dans le monde marchand des GAFAM ?
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